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Le blog de l'histoire des Verriers du Rouergue

Panorama des verriers et verreries du Rouergue

16 Janvier 2011 , Rédigé par Dominique Guibert Publié dans #Histoire locale

Avertissement : toute reproduction partielle ou complète de cet article à des fins de publication, par quelque moyen que ce soit, presse ou internet, est soumise à l’autorisation de l’auteur.

 

Les plus anciens verres fabriqués par l’homme datent d’environ 5000 ans et ont été produits par les civilisations mésopotamienne et égyptienne. C’étaient de petits objets obtenus par moulage autour d’un noyau d’argile.

 

L’invention de la canne à souffler, vers 250 avant J.-C. au Moyen-Orient, révolutionna l’utilisation de cette matière. Les romains importèrent la technique en Europe.

 

Les premiers objets de verre trouvés dans notre région proviennent essentiellement de sites archéologiques de la période gallo-romaine : essentiellement des petites fioles et menus objets à paroi très mince et colorée. Avec l’effondrement de l’Empire romain, le verre semble disparaître de la vie quotidienne.

 

A l’exception des vitraux, le verre fut quasi absent du haut Moyen-Age. Les premières verreries du midi de la France firennt leur apparition à la fin du Moyen-Age. Les verriers vénitiens découvrirent au XVe siècle le verre clair qu’ils appelèrent cristallo. Des verriers italiens émigrèrent en France où ils transmirent leur savoir.

 

L’atelier verrier de l’Aubrac (lieu-dit la Verrière, commune de Saint-Chély-d’Aubrac), qui a fait l’objet de fouilles archéologiques il y a une quinzaine d’années, a révélé une production de verre creux du XIVe siècle (1). La première mention écrite d’un verrier en Rouergue est celle de Nicolas Pierrenh, exerçant à Auzits en 1468. Au siècle suivant, les archives nous livrent les noms des premières familles connues de gentilshommes verriers qui exercèrent leur art sur notre territoire. Elles ont pour nom : Filiquier, Bournhol, Aigrefeuille, Colom ou Coulon et la Roque.

 

Aurenque

 

La Verrière d'Aurenque

 

Deux branches connues de la famille Filiquier exercèrent la verrerie : l’une présente dès 1571 à Aurenque, paroisse du Monastère-Cabrespines (commune de Coubisou), l’autre à Carcenac-Peyralès (commune de Baraqueville) et au Piboul (commune de Sainte-Juliette-sur-Viaur) aux alentours de 1590. La première cessa le travail du verre dans les dernières années du XVIIe siècle au lieu-dit la Verrière d’Aurenque (2). La seconde, originaire du comté d’Avignon, étendit ses rameaux dans les villages de Tayac et Gargaros (commune de Centrès). Le dernier verrier de cette lignée s’éteignit vers 1770.

 

 

  Filiquier

Blason des FILIQUIER

 

 

Les Bournhol (prononcez Bourniol), qui seraient venus d’Altare (Italie) se fixèrent au Piboul après avoir travaillé à la verrerie d’Aurenque dans le dernier quart du XVIe siècle. Leurs nombreux descendants s’établirent à Noyès (commune de Camboulazet), à Rayret (commune de Cassagnes-Bégonhès), à Fonbonne, à Gargaros, à Brienne (commune de Centrès) et à Comps-la-Grandville, et hors du Rouergue. Certains abandonnèrent ce métier pour celui d’avocat ou de cultivateur.

 

Bournhol

Blason des BOURNHOL

 

D’origine cévenole, les Aigrefeuille construisirent leur première verrerie, au début du XVIe siècle, dans la vallée du Trévezel, au lieu-dit la Valette, en aval de Trêves (Gard), aujourd’hui appelé la Verrière, puis une nouvelle, plus bas dans la même vallée au lieu-dit Combescure, que ses habitants nommeront Saint-Sulpice, hameau de la paroisse de Cantobre (commune de Nant). Deux frères Colom, Jean junior et Jean senior originaires de Laguépie (aujourd’hui dans le Tarn-et-Garonne), épousèrent deux filles du maître verrier du Trévezel et s’associèrent pour travailler le verre en famille. Un troisième, noble Antoine Colomb, probable frère des précédents, créa une verrerie au terroir de la Castella en 1550, dans la paroisse de Saint-Jean-de-Balmes (commune de Veyreau).

 

Plus au sud, et aux portes du Languedoc, noble Denis de la Roque, né à la verrerie de Couloubrines (commune de Ferrières-les-Verreries, Hérault), possèdait en 1544 une « chambre » dans le château du Clapier et une « verrière »  au Mas d’Arbousse (commune de Fondamente). Jean-François de Laroque, mort en 1764 dans ce mas, fut le dernier verrier de cette famille.

 

Non loin de là, noble David de Breton, venu du Minervois, s’installa dans les dernières années de ce XVIe siècle sur les terres de Montagnol, dans le Mas de Salèles, désigné depuis par le nom de la Verrière. Rare famille de verriers protestants en Rouergue, l’un de ses descendants, David de Breton, sieur des Cambous, se réfugia, suite à la révocation de l‘Edit de Nantes, dans l’état d’Utrecht (Hollande), où il dirigea une verrerie en 1688 (3).

 

Comme nous venons de le voir, à l’exception de Nicolas Pierrenh et des verriers de l’Aubrac dont les origines restent inconnues, tous les verriers rouergats semblent venir du Languedoc ou de la Provence, voire d’Italie. Implantés depuis des siècles dans ces provinces, leur grand nombre et la réduction des ressources forestières favorisèrent leur départ vers de nouveaux territoires.

 

Breton

Blason des BRETON

 

Le XVIIe siècle vit l’arrivée de nouvelles familles  de  verriers. Dans le sud, ce fut d’une part les Bertin, établis au domaine de la Devèse (commune de Tauriac-de-Camarès), propriété noble du duc d’Arpajon, baron de Brusque, et les Montolieu, à la verrerie de Carbonier (commune de Mélagues). Ces deux familles s’unirent par les mariages respectifs des frères Jean et François de Bertin avec les sœurs Isabeau et Ester de Montolieu. Parmi leurs descendants, certains restèrent dans les environs de Brusque où ils soufflèrent le verre en compagnie des Breton ou des Laroque, tandis que d’autres s’établirent dans le secteur verrier des gorges du Viaur. Dans cette dernière région, arrivèrent à cette époque noble Jean de Paupaille, verrier natif de Romestaing (Lot-et-Garonne) dans le secteur verrier du Bazadais (Gironde) et Jean Audouy, gentilhomme verrier, natif de Penne dans le département verrier de la forêt royale de Grésigne (Tarn).

 

Au XVIIIe siècle, marqué par le déclin des verreries forestières, de nouvelles familles de verriers immigrèrent en Rouergue : Jacques de Renaud qui épousa Thérèse de Bournhol en 1729 ; Pierre de Robert, sieur de Lascaves, originaire de Gaja-la-Selve (Aude), qui épousa vers 1740, Françoise André de La Selve, veuve et fille de notaire ; Jean de Riols qui s’établit à Taurines (Centrès) par mariage en 1748 et enfin les frères Jean-Baptiste et Jean-Antoine de Robert, natifs du Quercy, venus souffler le verre à Clapiès (La Selve) dans la pénultième décennie du siècle.

 

Pour clôturer cette longue liste de verriers, signalons un dernier arrivé en Aveyron dans la première décennie du XIXe siècle : Jean-Baptiste Colomb Delsuc, descendant de cette très ancienne et noble famille verrière rouergate citée supra. Son activité signalée dans la forêt du Lagast vers 1810 marqua la fin de la verrerie au bois dans notre département.

 

Le relais fut pris par l’industrie quelques décennies plus tard par la création en 1842 d’une verrerie au charbon à Boisse-Penchot qui fabriqua exclusivement du verre à vitre jusqu’au début du XXe siècle. Mr Jean-Baptiste Roullier, ingénieur des mines, assura la fonction de directeur général de la société qui prit le nom de Compagnie des Verreries à vitre de Penchot-sur-le-Lot.

 

Boisse-Penchot

 

La verrerie industrielle de Boisse-Penchot

 

Pourquoi les anciens verriers étaient-ils nobles ? Les premiers verriers connus au Moyen-Age bénéficiaient de privilèges accordés par les Rois de France. Ainsi, la charte royale de Charles VII, datée du 20 août 1438, confirmait les privilèges octroyés par ses prédécesseurs, à l’ensemble des nobles du royaume qui exerçaient l’art de verrerie. Ils étaient exemptés de toutes taxes et impositions pour tout ce regardait la fabrication et la commercialisation du verre. Les lettres royales de 1445 de ce même souverain sont considérées comme l’acte fondateur de l’organisation de la profession de verrier du pays de Languedoc.

 

En effet, outre le rappel des privilèges fiscaux et des conditions d’attribution de ceux-ci, la charte de 1445 régissait la profession sur le plan juridique par l’énoncé d’interdits et d’obligations et soumettait les verriers et leur famille à la juridiction du viguier et gouverneur de la ville de Sommières (Gard), tant en matière civile que criminelle. Son ressort s'étendit par la suite sur cinq « départements verriers » : le département de la Haute-Guyenne, comté de Foix, comté d'Armagnac, diocèses de Comminges, Couserans, Rieux et Auch ; le département de Grésigne, comprenant l'Albigeois, le Rouergue et le Bazadais ; le département de Moussans et Fourtou, diocèses de Narbonne, Alet et Saint-Pons ; le département du Vivarais ou du Méjanais ; le département du Bas-Languedoc, diocèses de Nîmes, Uzès, Alès, Maguelone, Agde, Lodève et Béziers.

 

La première obligation concernait l’appartenance à la noblesse. Mais pour être verrier, il fallait aussi être descendant légitime de noble verrier par le père ou par l’aïeul maternel et prêter serment devant le viguier de Sommières, qui portait les titres de « juge conservateur des privilèges des sieurs gentilshommes exerçant l’art et la science de verrerie en la Province de Languedoc, Comté de Foix, Haute et Basse Guyenne et ressort de la cour de Parlement de Toulouse, et commissaire général né, vérificateur de leurs titres de noblesse ». Ils devaient aussi le service des armes pour le Roi et à défaut de se présenter eux-mêmes, se faire remplacer par une personne noble suffisamment équipée.  Chaque four en activité était soumis au paiement de 40 sols tournois à la fête de Saint-Jean-Baptiste.

 

En revanche, il leur était formellement interdit d’employer toute personne non noble ni aucun individu noble non verrier dans la fabrication du verre, de la composition du mélange vitrifiable jusqu’au soufflage et façonnage du verre. Interdiction aussi de vendre leur marchandise au détail mais seulement à des marchands et au sein même de la verrerie.

 

Les gentilshommes verriers s’assemblaient périodiquement à Sommières pour délibérer sur les règlementations à observer. Ceux qui ne pouvaient se déplacer à Sommières donnaient procuration à un autre gentilhomme verrier. Ainsi, furent élus en 1656 un syndic des verriers et quatre procureurs chargés de surveiller le respect des règlements et d’engager des poursuites judiciaires devant la cour de Sommières en cas d’infraction. Par la suite, il y eut un syndic général et un syndic particulier pour chaque département verrier.

 

Nous connaissons un jugement prononcé par le viguier de Sommières, à Sorrèze en 1732, contre les verriers rouergats Jean de Bertin, sieur du Bosc, Antoine de Bournhol, sieur du Claux et son fils pour « s'estre ingéréz mal à propos de faire travailler de domestiques à la profession noble de l'art et science de verrerie au mépris de la déclaration du Roy et des délibérations sur ce, prises devant nos prédécesseurs, s'estant ingéréz eux mêmes à travailler plusieurs mois plutost ou plus tart qu'il n'est porté par la délibération prise à la convocation de l'assemblée tenue devant nostre prédécesseur du 2e septembre 1718 ». Ils furent condamnés à payer 600 livres tournois d’amende chacun et 66 livres 7 sols 4 deniers pour les dépens.

 

Voyons à présent le fonctionnement d’une verrerie au bois à cette époque. Le choix de l’implantation dépendait principalement des ressources en matières premières : les matériaux entrant dans la composition du mélange vitrifiable et le combustible, exclusivement le bois dans l’ancienne province de Rouergue.

 

Le silicium présent dans le verre sous forme de silicates de sodium ou de potassium, provenait de silex jaspoïde et de quartz contenu dans le gneiss dans la région de l’Aubrac, du grès pour la vallée de la Sorgues et du quartz blanc (quartzite) dans les environs de Brusque et dans les gorges du Viaur.

 

Pour faciliter la fusion il fallait réduire en poudre les différents composés. Nous savons, par exemple, que noble Isaac de Breton utilisa le martinet (4) du moulin de la Vialèle pour réduire le grès en poudre. Quant au quartz, il n’était facilement broyé qu’après avoir été rendu friable en le chauffant au rouge et en le projetant ensuite dans l’eau froide.

 

Afin d’abaisser la température de fusion, les verriers utilisaient des fondants : alcalis qui provenaient de la combustion de plantes indigènes telles que la fougère ou de plantes méditerranéennes telles que la salicorne qui faisait l’objet d’un commerce. D’autres substances pouvaient être employées comme l’oxyde de manganèse qui permettait de décolorer le verre naturellement vert bleuté en raison de la présence de fer dans les roches utilisées.

 

Ajoutons à cela l’emploi de verre cassé acheté auprès des marchands verriers qui en déduisaient le prix des marchandises prises de la verrerie. Le verre cassé, aussi appelé groisil, était soigneusement trié et lavé avant d’être broyé et incorporé dans le mélange vitrifiable, appelé matière par les gentilshommes verriers.

 

La verrerie s’organisait autour de plusieurs éléments : la halle au sein de laquelle se trouvaient d’une part, le four de fusion où s’activaient les gentilshommes verriers et leurs aides, et d’autre part, le four de recuit dans lequel transitaient les pièces finies dont le refroidissement progressif assurait leur solidité avant leur entrepôt dans le magasin. Les verriers et leur famille étaient logés à proximité de la verrerie. La cuisson de la matière se faisait au préalable dans un premier four qui pouvait être à l’occasion un simple four à pain : c’était l’opération de frittage. Il en résultait une masse friable que l’on versait dans les pots ou creusets du four de fusion, lesquels étaient accessibles avec la canne à souffler par les ouvreaux, ouvertures pratiquées dans la chambre de chauffe.

 

Dans le Ségala, les premières verreries furent crées dans les villages ou hameaux situés à proximité des bois : là dans la cour d’une ferme, ailleurs dans une grange. Puis il fallut déplacer la verrerie au plus près du combustible qui commençait à se raréfier, c’est ainsi que les gentilshommes verriers installèrent leurs ateliers au fond des gorges du Viaur et de ses affluents. Ce sont ces vestiges que l’on peut voir encore aujourd’hui le long des sentiers de randonnée dans les communes de Cassagnes-Bégonhès et de Centrès. Ces modestes monuments sont fragiles et doivent être respectés. La plupart du temps il ne reste que la base des murs non maçonnés de la halle et au centre la voûte du foyer du four de fusion, ouverte de part en part à la base, avec d’un côté l’alandier, par lequel le tiseur (responsable de la chauffe du four) introduisait le bois et de l’autre le cendrier. Une troisième ouverte au sommet concentrait la chaleur dans la chambre des pots.

 

four du Mourot

 

Vestiges de four au bord du Viaur

 

L’apprentissage du métier se faisait le plus souvent en famille : le père formait lui-même ses enfants dès le plus jeune âge. Toute la famille participait à la vie de la verrerie d’une manière ou d’une autre. Mais un gentilhomme verrier ne travaillait jamais seul dans sa verrerie. Selon ses moyens, il édifiait un four de quatre à huit places, chaque place correspondant à un ouvreau, devait être occupée par un verrier. Pour les petites et moyennes structures, le maître de la verrerie pouvait soit salarier d’autres gentilshommes soit leur louer une place de son four. Les verreries à sept ou huit places étaient généralement le fait de sociétés de verriers qui partageaient les frais d’installation de la verrerie mais aussi les profits. Bien qu’interdit par les règlements de Sommières, certains verriers n’hésitèrent pas à s’associer à des roturiers à partir du XVIIIe siècle.

 

L’activité verrière fut dans certaines régions un facteur économique et social non négligeable. Ce fut le cas autour du Viaur. La vente de coupe de bois aux verriers procurait aux paysans un complément de revenu durant la saison hivernale et des générations de marchands verriers étaient issues du monde paysan. La période de fabrication du verre, nommée campagne, courait du premier octobre au 31 mai, jusqu’à sa réduction à six mois et demi au XVIIIe siècle sous la pression des intendants des Eaux et Forêts.

 

A ce jour, ce sont plus de cinquante verreries qui ont été recensées dans le département de l’Aveyron, mais toutes ne sont pas encore localisées et d’autres restent à découvrir. La répartition est la suivante : une trentaine dans le Ségala (5) et une vingtaine dans le sud du département (6). Un inventaire de ces anciennes verreries est en cours.

 

© Dominique Guibert 2011

 


(1) Les Monts d’Aubrac au Moyen Age. Genèse d’un monde agropastoral, collectif sous la direction de Laurent Fau, Paris, 2006.

(2) Verrière vient de l’ancien occitan veirièira.

(3) Les Breton, gentilshommes verriers en Rouergue de 1600 à 1750, Dominique Guibert, article à paraître dans les Etudes aveyronnaises.

(4) Gros marteau de fer actionné par un arbre à cames qui utilise l’énergie hydraulique.

(5) Communes concernées : Alrance, Arvieu, Auriac-Lagast, Barraqueville, Camboulazet, Cassagnes-Bégonhès, Castelmary, Centrès, Durenque, Flavin, La Selve, Rullac-Saint-Cirq et Sainte-Juliette-sur-Viaur.

(6) Communes concernées : Brusque, Fondamente, Le Clapier, Mélagues, Montagnol, Nant, Sylvanès et Tauriac-de-Camarès.

Nota bene : les dessins des blasons sont de M. Pierre Mazars.

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M
Bonjour,<br /> Intéressant ces infos sur les verriers.<br /> J’habite actuellement un hameau « labro » derrière chez moi se trouve un château qui appartenait au gentilhomme de Colomb verrier et à 9/10 kms il y a un énorme bâtiment entouré de bois faisant corps de ferme qui s’appelle « la verrière » cela se situe dans le Lot dans le Segala près de lacapelle marival où se trouve le château de là seigneuries des Cardaillac.
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V
<br /> Article très interesant.<br /> <br /> <br />
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