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Le blog de l'histoire des Verriers du Rouergue

Testament et inventaire après décès de noble Claude de la Roque sieur d’Arbousse (2/2)

14 Février 2012 , Rédigé par gentilhomme verrier Publié dans #Histoire locale

L’inventaire après décès :

Document rarement conservé dans les minutes notariales, cet inventaire après décès nous fait pénétrer dans l’intimité de la demeure d’un gentilhomme verrier rouergat du règne de Louis XIV.

 

 

inventaire 1712

 

Supplique de demoiselle de Corcoral pour faire procéder à l'inventaire des biens de son défunt mari Claude de Laroque

 

 

C’est à la demande de sa veuve et héritière demoiselle Marguerite de Corcoral qu’il a été réalisé, afin de ne pas confondre ses droits avec ceux de ses enfants qui sont moindre de quatorze ans. Claude de la Roque décéda vers la fin du mois de février 1712, puisqu’il est dit que son décès remontait à environ un mois au jour de l’inventaire daté du 22 mars 1712.

 

L’an mil sept cent douze et le vingt deuxième jour du mois de mars avant midi régnant Louis le grand par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre dans le masage d'Arbousse et maison ayant appartenu à feu noble Claude de Laroque gentilhomme exerçant l’art et science de verrerie par devant moi Antoine Vergély notaire royal de Ceilhes et Tieudas (Roqueredonde) commissaire député par Messieurs les officiers ordinaires de la baronnie de Montpaon par ordonnance de ce jour d’hui, signée Bannes viguier, répondue sur la requête à eux présentée par demoiselle Margueritte de Corcoral veuve et héritière fiduciaire dudit sieur de Laroque à l’effet de procéder à l’inventaire des meubles, cabaux (cheptel), effets, titres et documents délaissés par ledit feu sieur de Laroque que ladite  demoiselle nous a remis pour être annexée au présent inventaire pour sa validité et requis de vouloir procéder à icelui en présence et assistance de noble François de Corcoral seigneur du Mas Granet, son frère, noble Denis de Laroque sieur de Lacombe, gentilhomme exerçant l’art de verrerie, oncle paternel dudit feu sieur de Laroque, noble Jean de Laroque sieur Darbous,  aussi gentilhomme verrier, cousin germain et sieur Guilhaume Séguy marchand de Cazilhac, son beau-frère, ce que nous avons offert faire en acceptant ladite commission avec le respect en tel cas requis et procédé ainsi que s’ensuit en présence et assistance de tous lesdits Sieurs sus nommés.

Inventaire des meubles, cabaux, grains, effets, titres et documents délaissés par feu noble Claude de Laroque gentilhomme verrier fait par nous Antoine Vergély notaire royal de Ceilhes et Tieudas commissaire susdit.

Premièrement avons trouvé dans le premier membre de la maison dudit feu sieur de Laroque servant de cuisine où nous sommes entrés, deux maies à pétrir [le] pain et une espèce de coffre ouvert à mettre les plats et assiettes, le tout [en] bois de bonne valeur.
Plus trois chaudières, deux grandes et une petite, pesant, avec leurs anses [en] fer, quarante livres.
Plus un pot [en] métal pesant vingt livres et un autre pot de même pesant huit livres, un pot [en] fer, une paire [de] landiers, deux grilles, deux broches, une pelle, une chambrière, un pendant de feu et une trappe, le tout [en] fer, avec une lèche frite.
Plus quatre chaises garnies de paille de fort peu de valeur.
Plus deux douzaines [d’] assiettes et six plats, deux grands et quatre petits, douze cuillères et douze fourchettes, une aiguière et une salière le tout [en] étain.
Plus deux chandeliers [en] laiton et six couteaux [avec] manche de corne noire.
Et de ladite cuisine, sommes montés avec tous les susdits, à la chambre qui est au-dessus d’icelle où nous avons trouvé un bois de lit garni de paillasse, couette, traversin, couverte  (couverture) de laine, garni d’un cadis (étoffe de laine) couleur d’or avec une courte pointe de la même étoffe.
Plus six chaises [en] bois de noyer, deux à bras et quatre sans bras, garnies d’un cadis de même couleur que le lit, une paire [de] chenets garnis d’une pomme en laiton.
Plus deux guéridons, une table et un déshabilloir avec sa serrure le tout [en] bois [de] noyer dans lequel déshabilloir s’est trouvé quatre douzaines et demie [de] serviettes demi-fines et une douzaine et demie [de] serviettes grossières, quatre nappes, deux fines et deux grossières et quinze draps de lit [en] toile de maison.
Plus un miroir avec son cadre [en] bois [de] noyer et un rideau de fenêtre [en] toile de coton.
Et ensuite sommes allés dans une autre chambre à plain-pied et à côté de la susdite dans laquelle avons trouvé un bois de lit garni de paillasse, couette, matelas, traversin, couverte de laine avec son garniement [de] cadis jaune.
Plus une table à pliant avec son tapis.
Plus une paillasse de lit sur deux bancs avec une couverte de laine blanche.
Plus une garde-robe [en] bois [de] noyer avec six ferrements dans lequel sont les nippes, linge et hardes de ladite demoiselle de Corcoral.
Plus une chaise à bras garnie de paille avec un petit coussin de plume.
Plus à côté de la cheminée de ladite chambre est une armoire attachée au mur, avec sa serrure et clef.
Plus une paire [de] landiers, une pelle et des pincettes [en] fer.

La maison d’habitation du verrier, bien que modeste semble correctement meublée. Cependant le logis et son équipement sont plus proches de ceux d’un marchand ou d’un riche laboureur que d’un noble seigneur local.

Et montant de là aux membres plus hauts de ladite maison avons trouvé au premier plafond de l’escalier, un coffre [en] bois [de] noyer avec sa serrure, de bonne valeur.
Et ensuite, étant entrés dans le grenier qui est à main droite y avons trouvé neuf faix [de] verres communs valant le faix quarante sols.
Et ensuite étant entrés dans le grenier qui est à gauche avons trouvé six setiers [de] conseigle, deux setiers [de] mixture et vingt faix [de] verres communs.
Et de là nous étant transportés de même avec tous les susdits et ladite demoiselle de Corcoral à la cave qui sert de magasin pour les verres qui a été ouverte par ladite demoiselle, de même que les susdits greniers, y avons trouvé quatre tonneaux vides tenant trois à quatre setiers chacun, deux vieux barricots (petites barriques), douze faix [de] verres communs et un quintal [de] bouteilles.

Nous voyons que les greniers et la cave de la maison du verrier servaient de magasins pour le verre. Sachant que le faix de verres correspondait en Rouergue à 100 unités, le stock de marchandise de Claude de la Roque était alors de 4100 verres communs, évalués à 82 livres tournois, et d’environ 49 kg de bouteilles, dont nous ignorons la valeur.
Les réserves en grain sont très modestes et celles en vin épuisées. Le conseigle ou méteil était un mélange de seigle et de froment, ou de seigle et d’avoine, dont on faisait un semis. La mixture était aussi un mélange de céréales.

Et dans ladite verrerie où nous sommes ensuite entrés, avons trouvé deux espalourdes, deux fers courts, une pelle, un mail à piler [le] salicor, six cannes, trois ferrets et deux mortiers, le tout [en] fer servant à la verrerie.
Plus trois moules [de] métal, un pour [les] garrafines, un pour [les] verres et l’autre pour [les] boutons.
Plus trois paires [de] fers, deux paires [de] molettes et deux paires [de] ciseaux, le tout propre à travailler le verre.

La verrerie était indépendante de la maison, situation préférable en raison d’un risque possible d’incendie, mais probablement à une faible distance. Là se trouvait tout le matériel nécessaire à la fabrication du verre. L’espalourde désigne une louche en fer qui servait à extraire le verre dans le four de fusion. Les cannes sont des tiges métalliques creuses servant à souffler le verre et les ferrets sont des tiges métalliques pleines appelées pontils. Les garrafines sont des burettes en verre pour l’huile ou le vinaigre.
Les mortiers en fer devaient être utilisés pour piler d’une part le salicor, vendu sous forme de blocs, et d’autre part le verre cassé, préalablement trié et lavé.
On est surpris de ne trouver aucune réserve de matières premières : ni « salicor » ni verre cassé.

Ensuite passant par l’écurie, avons trouvé un cheval [à] poil noir avec son bât et [sa] selle que les parties ont dit être de valeur de quarante livres.
Plus une paire [de] bœufs, l’un [à] poil rouge et l’autre tombant sur le noir, de sept à huit ans avec les meubles aratoires, juliés (occitan julhas) en cuir et reille (occitan relha), estimés lesdits bœufs soixante-quinze livres par lesdites parties.
Plus une vache [à] poil rouge de l’âge de sept à huit ans que lesdites parties ont apprécié à trente livres.
Plus a dit, ladite demoiselle, ledit feu sieur son époux, avoir laissé trois chèvres et demie savoir une à la Vialette proche [de] Ceilhes et les autres deux avec le frézat (chevreau ou bouc ?) à Arbussel.

Le cheptel de notre gentilhomme verrier était bien pauvre. Les « julhas » étaient des courroies en cuir permettant de fixer le joug sur la tête des animaux. La « relha » désignait le soc de la charrue.

Ensuite, retour dans la maison :


Et après étant rentrés dans ladite maison ladite demoiselle nous aurait (sic) ouvert le coffre qui est dans l’escalier en montant aux greniers où nous aurions (resic) trouvé les titres et documents suivants.
En premier lieu avons trouvé dans un sac le jugement rendu par monsieur Lepeletier intendant à Montauban le 3e janvier 1699, qui établit la nobilité  dudit sieur de Laroque avec les pièces qu’il avait remises dans son inventaire pour la prouver qui sont en nombre de seize comme testaments et mariages de ses auteurs et ledit jugement, lesquelles pièces dans ledit sac sont cotées sur ledit jugement n° 1.

Chaque liasse ou document important fut énuméré et numéroté. Ce premier lot est effectivement le plus emblématique car il contient les preuves de noblesse de la famille de la Roque depuis 1547. Pour ne pas ennuyer le lecteur nous avons sélectionnés ceux qui nous semblent les plus intéressants. Cependant l’inventaire fut interrompu par la tombée de la nuit.

Et à cause de l’heure tarde (tardive) nous nous sommes retirés et le lendemain vingt-troisième dudit mois de mars, heure de huit de matin, nous dit notaire et commissaire, en présence et assistance de ladite demoiselle, desdits sieurs du Mas Granet, de Lacombe, d’Arbousse et Séguy continuant notre commission et susdit inventaire, avons trouvé dans ledit coffre une quittance […] le tout en deux pièces attachées ensemble ci-coté n° 5.
Plus l’inventaire des meubles, effets, titres et documents délaissés par le père dudit feu sieur de Laroque devant maître Roques notaire à Montpaon le 25e février 1690, sans aucune pièce ci-coté n° 6.

Malheureusement cet inventaire ne figure pas dans le registre de maître Roques.

Extrait de reconnaissance féodale consentie par Etienne de Laroque au seigneur du Clapier des biens relevant de lui du 4e juillet 1656 reçue par Lamic notaire au Caylar ci-coté n° 23.

Même remarque que précédemment, une lacune dans les registres de maître Lamic ne nous permet pas d’avoir connaissance des biens d’Etienne de la Roque dépendant de la seigneurie du Clapier.

Plus un livre journal in quarto couvert de parchemin tenu par ledit feu sieur de Laroque contenant soixante-sept feuillets y en ayant trois en blanc commençant le 5e juin 1703 par avoir baillé (prêté) cinq louis d’or à monsieur  Castel de Saint-Maurice et finissant par avoir baillé 5 livres tournois 14 sols à Galabrun de La Blaquière ci-coté n° 27.

Premier membre de la famille de la Roque à avoir su écrire, il était normal qu’il tienne un livre de compte appelé aussi livre de raison.

Plus une liasse d’actes en parchemin où sont les anciens titres de la maison ci-coté n° 31.
Autre liasse de même de plusieurs vieux parchemins ci-coté n° 32.
Encore autre liasse de vieux parchemins où est la reconnaissance des biens dépendant de la directe d’Arbousse consentie au seigneur abbé de Joncels et une réduction du riveiral (pré de rivage) de la 9e gerbe à 3 quintaux de froment ci-coté n° 33.

C’étaient certainement les plus anciens documents de la famille de la Roque parmi lesquels figuraient les titres du XVIe siècle produits devant Le Pelletier de la Houssaye, intendant de la Généralité de Montauban, pour prouver sa noblesse.

Et ayant fait une plus exacte recherche dans ladite maison avons trouvé deux fusils et une épée [à] poignée d’argent et garde de cuivre doré, dudit feu sieur de Laroque.
Plus un justaucorps et une culote [de] drap avec une veste et un chapeau et perruque, ensemble un manteau drap de pays de bonne valeur.
Plus six chemises et une cravate.

Voilà enfin les attributs apparents de la noblesse : le fusil pour la chasse alors réservée aux nobles et les habits et accessoires du gentilhomme. On imagine aisément Claude de la Roque, vêtu de son justaucorps et de sa culotte de drap, chaussé de beaux souliers à boucle – auraient-ils été oublié dans l’inventaire ? –, coiffé de sa perruque et de son chapeau, une cravate autour du cou et l’épée au côté lorsqu’il se rendait au Clapier pour la messe dominicale ou chez le notaire pour ses affaires.

Plus dans la verrerie, avons trouvé six mortiers [en] terre pour servir à travailler le verre.
Et dans la cour, avons trouvé une charrette ferrée avec l’essieu [en] fer.
Et auprès du jardin il y a petit moulin ou martinet à piquer [le] salicor y ayant une grande plaque [en] fer et un gros mail de même.

Les mortiers en terre représentent les pots ou creusets en argile réfractaire dans lesquels le verre est fondu. On peut supposer que le four de fusion qui occupait le centre de la verrerie possédait six ouvreaux.


Parmi les témoins figuraient un gentilhomme verrier, le sieur Jean de Bertin, sieur de Laumarède, venu en confrère et voisin puisqu’il résidait avec son frère Pierre de Bertin au moulin de la Plane situé au bord de l’Orb, dans la même paroisse du Clapier.

 

Ce gentilhomme verrier mort prématurément laissait une veuve avec trois enfants mineurs, quelques créances mais aussi probablement quelques dettes. Son habitation était des plus modestes pour un gentilhomme qui prétendait vivre noblement et qui, rappelons-le, devait le service des armes à son Roi.

 

© Dominique Guibert 2012

 


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