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Le blog de l'histoire des Verriers du Rouergue

Les verreries du Rouergue à la fin du XVIIIe siècle d’après Jean-François-Henry de Richeprey et Amans-Alexis Monteil (1/2)

18 Mars 2012 , Rédigé par gentilhomme verrier Publié dans #Histoire locale

Le journal des voyages en Haute-Guienne de Jean-François-Henry de Richeprey (tome 1 Rouergue) présenté par Henri Guilhamon en 1959 mentionne, à la page 310 en note 2, l’existence de verreries dans les gorges du Viaur. En voici le texte :

 

Les détails complémentaires ci-dessous, sur les verreries de La Selve furent fournis à Richeprey par son collaborateur Calmès de La Bessière. Ils se trouvent au folio 1309 des pièces annexes du Journal.

            « Il y avoit anciennement dans le Rouergue trois ou quatre verreries ambulantes. Lorsqu’elles avaient épuisé le bois dans une contrée, on allait les établir dans une autre ; pendant longtemps, il y a eu de ces établissements à Centrès, à Tayac, à Noyers près de Camboulazet, dans la paroisse de Saint-Just. Tous ont successivement dépéri et, dans leur décadence, ils ont entrainé la fortune des entrepreneurs ; pas un n’a gagné sa vie dans ces pénibles travaux, ils y ont même consommé leurs biens et perdu leur crédit. Presque tous ces malheureux sont sans pains ; en se ruinant, ils ont désolé le pays, moins en écrasant leurs créanciers qu’ils ont été dans l’impossibilité de payer, qu’en détruisant les bois du païs. Les spéculateurs l’avaient dit depuis longtemps, mais la misère urgente qui force le malheureux propriétaire de consommer les fruits de ses productions avant qu’ils soient parvenus à leur maturité, empêchait le public de lire ci-avant dans l’avenir, et quand il aurait prévu le mal à venir, la nécessité lui criait de jouir.

            « Les débris de ces malheureux verriers ont été se réfugier près de La Selve, dans un village qu’on appelle l’Aubigo (Laubigue) ; ils sont au nombre de quatre. Leurs ouvrages consistent en de petits gobelets et des bouteilles de verre blanc et fort mince ; ils composent leur matière de verre de vitre cassée ou du saricout (?) mêlé avec du caillou. Le bois dont ils se servent appartient à Mr de Perssegals, auquel ils donnent trente trois francs par mois pour tout le bois dont ils peuvent avoir besoin. La consommation, s’il est sec, se porte à quatre charretées et jusques à huit s’il est verd. On peut par là combien peu sont avantageux au public de pareils établissements, puisque le propriétaire ne vend, comme il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, que 5 s. 6 d., la charretée du bois sec et moins ….. celui qui est verd ; et si l’on compte les rejets que leurs ouvriers font du bois qui ne se trouve pas commode au transport ou au coupement et qu’ils dégradent par le peu d’attention qu’ils y portent en l’exploitant, le prix du bois sera encore bien plus modique. Ces établissements sont donc bien peu avantageux au propriétaire.

            « Le bien public en souffre beaucoup ; le bois qu’on exploite est ordinairement de belle venue ; ils choisissent et le plus jeune et les plus beaux parce qu’ils brûlent mieux, sont plus commodes pour le transport et s’arrangent mieux dans le fourneau. Ces bois, s’ils avaient été réservés depuis cinquante ans, seroient aujourd’hui propres à la construction ; fourniraient tout au moins du merrein dont la rareté se fait déjà sentir depuis longtemps, et qu’on ne trouvera bientôt plus dans le Rouergue. Cette branche de commerce sera d’autant plus à regretter qu’elle a fait vivre pendant des années de misère, la plupart des familles du Rouergue.

            « Quant aux entrepreneurs, nous avons vu qu’ils s’étaient généralement ruinés dans de pareilles entreprises. On en connaît pas un, depuis le commencement de ces établissements, qui ait pu seulement en retirer la subsistance, pas même soutenir les ateliers. Suivant les renseignements que nous avons pris, ces quatre ouvriers qui travaillent à la verrerie de L’Aubige ne font par jour, que trois quintaux et demi ……. Il faut noter qu’ils ne travaillent que six mois de l’an. Ils font ….. soixante à quatre-vingt (feuille déchirée) …… qu’ils vont vendre le …… voisinage et dans l’Albigeois.

            « On nous assure que ces colporteurs ne gagnent pas tout ensemble cinquante louis … On peut facilement juger partout ce qui vient d’être exposé si ces établissements sont fort avantageux au particulier et au public. Aussi il n’y a qu’une voix pour demander leur destruction. Les propriétaires même des bois conviennent de la sagesse du règlement qui les prohiberait ».

 

Laubigue

 

Situation de la verrerie de Laubigue (Rullac-Saint-Cirq, Aveyron)

 

 

 

Commentaires personnels :

 

Cette lettre adressée par l’Abbé Calmès à Mr de Richeprey n’est pas datée. En revanche, elle est postérieure au voyage de ce dernier dans la région de Centrès au mois de décembre 1780 où il note qu’on compte trois verreries dans cette partie du Rouergue ; elles sont à Centrès, à Camboulas et au village de la Pougue. De ces lieux cités, il faut lire la verrerie de la famille de Bertin à Magrinet, paroisse de Centrès, la verrerie située sur la carte Cassini de Rodez, rive droite du Viaur, entre La Capelle-Viaur et Saint-Georges-de-Camboulas dont nous ignorons l’origine et celle du village de Laubigue aussi appelé La Bouygue, paroisse de Rullac.

 

L’Assemblée Provinciale, à laquelle étaient destinés ces voyages, tint sa dernière réunion en 1786 et Mr de Richeprey décéda en 1787. Il faut donc en conclure que la lettre ci-dessus est antérieure à cette dernière date, mais bien postérieure à 1780, puisque son auteur mentionne la disparition de toutes les verreries à l’exception de celle de Laubigue. Cependant la mention d’une somme en francs nous laisse perplexe : mauvaise retranscription d’une abréviation ou emploi inhabituel de cette monnaie.

 

Curieusement, Mr Calmès, qui semble par ailleurs très bien renseigné, ne cite pas la verrerie dite de Camboulas.

 

Il n’a pas, c’est le moins que l’on puisse dire, une haute estime de cette activité artisanale, qui non seulement ruine le pays de ses maigres ressources forestières mais ne suffit pas à faire vivre honorablement des verriers qui sont tous membres de la noblesse et doivent théoriquement vivre noblement. D’ailleurs, il ne fait jamais état de cette appartenance et n’emploi au contraire que des termes négatifs voire méprisants : dépéri, décadence, malheureux, débris.

 

En revanche, il nous renseigne sur les matières premières employées : le verre cassé, essentiellement du verre blanc de vitre et du saricout (lire saricot ou salicor, sels de soude sous forme solide provenant de la combustion de plantes côtières telles que la Salicorne) mêlé avec du caillou. Par caillou, il faut entendre, galets ou blocs de quartzite blanc nombreux dans cette région. Le salicor comme le caillou étaient réduits en poudre pour être chauffés préalablement dans un four à fritte, généralement attenant à la verrerie. Ainsi, le four situé à l’extérieur de la halle de la verrerie de Combenègre (Centrès), n’est pas comme l’a cru le regretté Lucien Dausse qui l’a fouillé en 1981, un four de recuit mais plus probablement un four à fritte. La même structure se retrouve à la verrerie de Burau à Fraisse-sur-Agout (Hérault) fouillée en 2008 par l’équipe dirigée par I. Commandré et F. Martin.

 

La seule verrerie en activité à cette période (années 1780 ?) était celle de Laubigue. Ce site a un long passé verrier. La première exploitation connue date de 1686 avec les gentilshommes verriers Etienne de Bertin, David et Claude de Breton. Il faut attendre 1748 pour voir le retour des verriers avec nobles Jacques de Renaud, Etienne Percy, Pierre de Robert, Jean François de Robert, Jean Paul de Robert, Antoine de Berbisier sieur de Laserre, Ignace de Bertin sieur de Fraissinet, Etienne de Renaud sieur de las Combettes présents entre cette date et 1766 qui semble marquer l’abandon du site.

La période qui nous intéresse voit l’arrivée de noble Jean-Baptiste de Robert sieur de Saint-Palavy, habitant de Lédergues (Aveyron). Mais qui sont les trois autres ouvriers dont parle l’abbé Calmès ? Peut-être Jean-Antoine de Robert sieur de Lajouzan (alias Lajeuzan) frère du précédent, les frères Jean et Antoine de Riols, de Taurines (Centrès), Etienne Ignace de Bertin sieur de la Combe, habitant de Magrinet ou encore Pierre-Jean de Bournhol sieur du Claux, habitant de Fonbonne.

 

On notera que la durée de la campagne ou réveillée était alors de six mois, de l'automne au printemps.

 

 © Dominique Guibert 2012

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